Les Joint-Ventures Sociales en France, panorama et perspectives

 dans Autre

Jeanne Bretécher et Steven Bertal, du cabinet Génération 2 Conseil qui œuvre à la fabrique de partenariats pour le bien commun, ont écrit un dossier dressant le panorama et les perspectives des Joint-Ventures Sociales en France, pour le compte de leurs partenaires Mécénova et Les entreprises pour la Cité. A cette occasion, ils ont interviewé Antoine Rieu, manager R&D chez SocialCOBizz et qui prépare une thèse sur le sujet. Un grand merci à eux ! Voici l’article ci-dessous et que vous pourrez retrouver en cliquant ici.

Dans son programme présidentiel, Emmanuel Macron envisageait un « small BusinESS act » qui permettrait « d’accélérer la performance économique ainsi que l’impact social et environnemental des entreprises de l’ESS ». Sur recommandation de conseillers influents dans le secteur comme Catherine Barbaroux (Adie), Jean-Marc Borello (Groupe SOS), Christophe Itier (La Sauvegarde du Nord) ou Thibaut Guilluy (Ares), les solutions devraient notamment passer par un encouragement des structures hybrides, à savoir la constitution de « Joint-Venture Sociales ».

Le concept des Joint-Ventures Sociales, dites JVS, est relativement embryonnaire et nouveau. Pour y voir plus clair, nous avons interrogé Antoine Rieu, doctorant en socioéconomie et gestion, spécialiste de la question, manager R&D chez Ares et SocialCOBizz, une structure qui développe une méthodologie de création et développement de Joint-Venture Sociales en open source.

Aux origines des Joint-Ventures Sociales

L’origine du terme ‘joint-venture sociale’ (JVS) – ou « co-entreprise sociale » en français – n’est pas clairement identifiée. Le professeur James Austin, cofondateur de la Chaire d’Entrepreneuriat Social d’Harvard University identifie leur existence dans un premier article publié en 2000[1] où il propose un schéma de collaborations entre secteur à but lucratif et à but non lucratif, qu’il affine en 2012[2] avec la professeure May Seitanidi de la Kent Business School. Ils  distinguent alors quatre niveaux d’imbrication dans ces collaborations : le stade philanthropique, transactionnel, intégratif et transformationnel, ces deux derniers stades regroupant notamment les JVS, avec une vision de changement institutionnel pour le quatrième stade. À la même période, le Prix Nobel de la Paix Muhammad Yunus a initié au Bangladesh avec Danone et Veolia, puis dans d’autres pays des « Suds », une vague de joint-ventures sociales.

En France c’est l’association Ares qui en revendique la paternité à la fin des années 2000. Association créée en 1991 par des travailleurs sociaux et cadres-dirigeants,  Ares a commencé son activité d’insertion à Gare de l’Est à Paris, grâce au soutien des pouvoirs publics et de deux entreprises : SNCF et Manpower. Elle devient par la suite un groupe d’entreprises d’Insertion par l’Activité Economique (IAE) conventionnées par l’Etat, avec un modèle économique hybride : 75% de chiffre d’affaires et 25% de subventions. Chez Ares, l’idée de créer une première joint-venture sociale est venue en réponse à deux constats dressés en 2009 : la nécessité de proposer un accompagnement de meilleure qualité à un public handicapé exclu de l’emploi  et la volonté de faire évoluer le modèle des Entreprises Adaptées pour qu’il puisse jouer un véritable rôle d’insertion vers l’économie conventionnelle. Pour cela, Ares a identifié les métiers de la logistique comme étant adaptés à l’insertion de personnes touchées par certains handicaps physiques. Elle s’est donc rapprochée du logisticien Norbert Dentressangle (aujourd’hui XPO Logistics) qui a apporté ses compétences métier et des ressources financières et matérielles. C’est ainsi qu’en 2011 naît la JVS  Log’ins, Entreprise Adaptée tremplin sous forme de SAS détenue à 51% par Ares et à 49% par XPO Logistics. À fin 2016, l’entreprise comptait 70 salariés dont 57 travailleurs handicapés bénéficiant d’un accompagnement, pour 3,90M€ de chiffre d’affaires (+44% par rapport à 2015) et le modèle a déjà été répliqué en région Auvergne-Rhône-Alpes.

Quelle définition ?

D’après le programme présidentiel d’Emmanuel Macron, les joint-ventures sociales sont « fondées sur une collaboration entre association et entreprise, dont les expertises sont complémentaires. Ces nouvelles structures seront détenues à majorité par une association, qui garantira leur but non lucratif. C’est un levier puissant de développement pour l’insertion professionnelle, l’inclusion numérique et l’économie circulaire notamment. C’est un modèle économe en ressources publiques. »

Pour Antoine Rieu, « beaucoup d’aventures ressemblent à des joint-ventures en termes de pratiques et de problématiques, mais ne se définissent pas ainsi. On peut parler de co-entreprises, de capital social diversifié ou encore de compétences et RH partagées. Mais à ce jour nous considérons que les JVS partagent trois caractéristiques fondamentales : d’abord, elles rassemblent un actionnariat complémentaire (en compétences et ressources), souvent composé d’une entreprise sociale ou association et une entreprise commerciale « classique », qui  créent une structure à part entière ; ensuite, les JVS mettent en œuvre une mission sociale ou sociétale ; enfin, elles mènent leurs activités selon un modèle économique (hybride) pérenne. » Pour assurer une non lucrativité totale ou limitée ainsi que le maintien de la qualité de la mission sociale/sociétale dans le temps, il est recommandé que la majorité des parts soit détenue par l’acteur issu de l’ESS. « Les grandes entreprises voient dans les JVS un modèle économique intéressant. Il s’agit de penser comment leurs métiers et leurs chaines de valeurs peuvent intégrer en leur cœur une responsabilité accrue. Et puis cela donne du sens, ce qui se ressent en matière de mobilisation des RH en interne », explique Antoine Rieu.

Panorama des JVS en France

Depuis Log’Ins, Ares a monté deux autres joint-ventures sociales : La Petite Reine, entreprise rachetée par le groupe en 2009 pour devenir Entreprise d’Insertion et devenue JVS en 2011, lorsque Star’s Service entre au capital et apporte notamment son savoir-faire dans les métiers de la livraison. Répondant à des enjeux de pollution de l’air, de pollution sonore et d’exclusion sociale, La Petite Reine déploie désormais une activité économique de livraison du dernier kilomètre en transport écologique. Et Acces – Inclusive Tech, co-entreprise d’insertion entre Ares, la Fondation Accenture et Investir &+, qui fournit des services informatiques et de l’externalisation de services administratifs.

Autre initiative à souligner : la création par Ares, Vitamine T, Investir &+ et Yoobaky de l’association SocialCOBizz, qui s’est donnée pour mission de déployer le modèle de Joint-Ventures Sociales sur un large périmètre territorial et sectoriel, afin de faire émerger une société plus inclusive. Elle propose ainsi un pack méthodologique en open source, pour outiller les acteurs qui souhaiteraient créer une JVS ou qui se poseraient simplement la question de leur impact, de leur responsabilité, du changement d’échelle et/ou de l’hybridation de leurs modèles. Entreprises classiques ou sociales, associations, acteurs publics, cabinets de conseil sont concernés, depuis la prise de décision jusqu’à sa mise en œuvre. L’objectif est également de valoriser et capitaliser sur les retours d’expérience afin de de mettre en œuvre des modèles de JVS pérennes et adaptés à leurs contextes territoriaux, sectoriels, etc.

Du côté des grands acteurs de l’ESS, on peut noter de nombreuses manifestations d’intérêt. La Chaire Innovation et Entrepreneuriat Social de l’ESSEC a joué un rôle central en France et a récemment lancé plusieurs MOOCs consacrés aux partenariats entre entreprises sociales et commerciales, comprenant les JVS. L’Action Tank Entreprises et Pauvreté, émanation de la Chaire du même nom à HEC, travaille également sur des modèles hybrides avec de grands groupes. Enfin, Ashoka France a initié un laboratoire de co-création.

D’autres acteurs sont sur les rangs et ont créé des modèles similaires, en dépassant les logiques d’insertion par l’emploi. Ainsi, la Croix Rouge et le Groupe Arcade ont créé en mars dernier Croix Rouge Habitat, une Entreprise Sociale pour l’Habitat (ESH) afin de faire face aux besoins de logements pour les populations les plus fragiles, avec l’objectif de loger 6000 personnes sur l’ensemble du territoire à partir du foncier appartenant à la Croix-Rouge française d’ici 5 ans. De leur côté, la Fondation FACE, le groupe Danone et la start up de l’économie circulaire LemonTri ont crée LemonAide, qui propose des contrats d’insertion, un accompagnement socio-professionnel intensif d’une durée de six mois à des personnes éloignées de l’emploi. La start up compte multiplier par trois son chiffre d’affaires entre 2016 et 2019 et a reçu le Prix Convergences le mois dernier.

Quel sera le modèle français des Joint-Ventures Sociales ?

Il y a quelques espoirs de soutiens publics avec la promesse du Président Macron de développer les Joint-Ventures Sociales. Antoine Rieu tient cependant à souligner qu’un débat éthique, politique et très concret reste à trancher sur les questions de création, distribution et équilibre de la ou des valeur(s) – économiques, sociales, environnementales. « Le fond de la question est de savoir ce que nous concevons et valorisons comme étant de la richesse, comme étant et/ou ayant de la « valeur »  sur les territoires, avec un pendant sur le partage du pouvoir et la gouvernance. L’horizon est celui du lien social et écologique, face à l’impératif de ‘transition écologique et solidaire’, pour reprendre l’intitulé du ministère de Nicolas Hulot. Concrètement, comment faire en sorte que ce que l’on appelle « économie », et qui recouvre bien plus que l’économie de marché, soit au service de sociétés pérennes et heureuses ? Gageons que les Joint-Ventures sociales pourront contribuer à apporter des solutions ». Les notions de pérennité et de rentabilité, pas toujours en phase sur le timing, doivent être également questionnées.

Pour Antoine Rieu, en France  « valoriser le modèle capitaliste, même s’il s’auto-proclame « social », comme le seul tenable pour mener des activités durables dans tous les sens du terme, cela donc sans hybrider les ressources, c’est souvent compliqué ». L’Etat aurait donc toujours un rôle légitime de soutien aux actions sociales par le truchement des subventions, mais aussi en apportant un écosystème favorable. Il appelle ainsi à inventer des modèles en prise avec les enjeux territoriaux spécifiques, qui aient à chaque fois le souci des plus vulnérables et de l’environnement.

 

[1] Austin J. E. (2000). “Strategic collaboration between nonprofits and business”, in Nonprofit and voluntary sector quarterly, 29: 69-97

[2] Austin J. E., Seitanidi M. M., (2012). “Collaborative value creation: A review of partnering between nonprofits and businesses”, in Nonprofit and voluntary sector quarterly, 41: 726-760.

 

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