Les 10 et 11 décembre 2018 se sont tenues à l’IAE de Paris les 6èmes rencontres scientifiques du GESS – Gestion des Entreprises Sociales et Solidaires. Cette année, les rencontres prenaient pour thème « ESS, Communs, Organisations alternatives : la gestion solidaire peut-elle fédérer autour d’une plus grande soutenabilité ? »
L’intention de ces rencontres a été formulée ainsi :« Pour répondre aux menaces globales auxquelles nos sociétés sont confrontées, il est urgent de renouveler nos modèles économiques dans la perspective d’une plus grande soutenabilité. Or, cette transformation ne peut se faire sans un effort parallèle de la réflexion et du savoir-faire en matière d’organisations. Les théoriciens de l’organisation et les praticiens gestionnaires sont donc appelés à conjuguer leurs efforts pour créer les outils – conceptuels et pratiques – nécessaires à la transition écologique et sociale. Le travail à fournir est important. Il suppose le changement de nos comportements, de nos modes de représentations, et la mise en place d’une solidarité renforcée entre les humains et la nature, et entre les humains eux-mêmes. En matière d’organisation, cela passe par la non dissociation des moyens et des fins et la recherche d’une cohérence entre le projet et les valeurs. »
Antoine Rieu, doctorant CIFRE chez Ares/SocialCOBizz affilié à l’Université Paris Diderot et l’ESSEC a proposé une intervention sur « Les Joint-Ventures Sociales dans l’IAE : potentiels d’un modèle en tensions ». Son intervention a démarré en soutenant que ce modèle de partenariat est l’émanation d’une dynamique socioéconomique et politique globale qui mène les Etats, les systèmes économiques capitalistes et pratiques sociales et solidaires à se recomposer et se ré-articuler. Au cœur de cette dynamique se joue une bataille sur ce à quoi nous tenons, ce que nous valorisons pour nos vies, des vies situées dans des milieux socio-écologiques en danger, et se joue donc la question de savoir quels chemins, quelles actions mettre en œuvre pour atteindre nos idéaux c’est-à-dire composer des mondes résolument soutenables.
Théoriquement, il est question de montrer qu’il faut revenir aux racines de ces problématiques, à savoir la question de la richesse et de la valeur, qui est une question sociopolitique. Se poser la question de ce qui fait richesse et de ce qui fait valeur permet de développer à nouveaux frais un regard aidant au discernement. Antoine s’attache alors à contribuer à montrer, aux côtés de certains travaux existants, que la valeur se définit de façon relationnelle, dynamique, située dans le temps et dans l’espace, et est négociée. Ce qui fait valeur est en tension permanente –cette tension étant probablement salutaire à condition d’une certaine éthique de la discussion et du débat entre femmes et hommes posés comme libres et égaux.
Concrètement, l’analyse empirique de terrain contribue à nourrir cette réflexion. Les Joint-Ventures Sociales apparaissent à une époque où de nombreux acteurs, particulièrement dans des pays dits du Nord doivent se mettre en transition –écologique et solidaire pour dire le moins. Cela signifie de s’accorder sur des constats, des visées et des moyens (quelles ressources ? quel chemin ?). Les Joint-Ventures Sociales cristallisent les tensions liées à ces ré-articulations. Elles émanent en France sous l’impulsion d’entreprises d’insertion et à l’international sous l’impulsion de Mohammad Yunus qui parle de social business joint-ventures –mais la conception et la visée des JVS n’est pas nécessairement la même. L’objectif de l’intervention a alors été de révéler les tensions à l’œuvre dans l’opérationnalisation de ce modèle.
La thèse défendue a consisté à dire que l’analyse de la formation et du maintien dans le temps des Joint-Ventures Sociales souligne une fabrication en continu de la valeur, c’est-à-dire une qualification en commun de ce qui compte (des objectifs affichés de l’action qui se traduisent jusque dans des fiches de poste par exemple), qualification soumise à des tensions sociopolitiques en même temps qu’à des tensions socioéconomiques (quelle hybridation des ressources et quelles logiques derrière la nature des ressources mobilisées). Ce process de fabrication de la valeur se recompose en continu dans le temps, à différentes phases du cycle de vie et se singularise territorialement. Enfin, l’analyse de ce que produisent les Joint-Ventures Sociales, en termes de quotidien de travail, en termes de finalité sociale et écologique, permet de rendre compte du potentiel de changement plus ou moins incrémental, plus ou moins transformateur, plus ou moins soutenable. Tout l’enjeu est alors de s’accorder démocratiquement (fabriquer des « images partagées » selon l’expression de Lavigne-Delville, des « désaccords féconds » dans les mots de Patrick Viveret ou encore des « compromis » comme l’écrivent Boltanski-Thévenot) sur les pratiques et les objectifs, à la lumière de travaux scientifiques, ce qui pose la question du rapport science-société.
L’équipe SocialCOBizz www.socialcobizz.com