Nous vous proposons cette semaine deux articles sur les modèles de coopérations à impact afin de comprendre dans quel contexte s'inscrit leur développement récent et de vous partager quelques enseignements - points de vigilance, facteurs clés de succès, potentiels - théoriques et pratiques (issus de nos missions d'accompagnements terrain) sur la mise en œuvre de ces projets. Aujourd'hui, deuxième volet sur la mise en œuvre de ces projets !
Une gestion complexe...
Malgré le contexte (détaillé dans l’article précédent) particulièrement favorable et l’opportunité de répondre de manière innovante aux enjeux stratégiques que constituent ces modèles de partenariats, leur mise en œuvre et leur gestion dans le temps sont particulièrement complexes. Philippe Semenowicz(1), dans « Collaborer avec le secteur lucratif » (2014), identifie six sources principales à ces difficultés : • Incompréhension mutuelle quant aux objectifs et aux contraintes du partenaire • Difficulté à évaluer la valeur sociale créée par l’alliance et donc sous-estimation de celle-ci • Déséquilibre dans la répartition du pouvoir entre les partenaires • Mauvais choix de partenaire • Epuisement de la collaboration au fil du temps sous l’effet de la lassitude • Défiance
De ces difficultés découlent selon lui deux principaux risques auxquels il faut prêter une attention particulière : celui du compromis déséquilibré et celui de la perte de légitimité (qui peut se traduire par le fait qu’un des partenaires tende à fonctionner comme l’autre, adoptant les valeurs et référentiels de son partenaire et perdant les siennes). Ces risques peuvent également survenir lorsque le rapport de pouvoir est trop déséquilibré, en l’occurrence en faveur de l’organisation à but lucratif selon les termes de Semenowicz, entrainant une dérive de la mission sociale du partenariat.
...Qui s'anticipe...
Pour pallier ces difficultés, le premier enjeu majeur est de développer l’interconnaissance, de sortir de l’entre-soi, en amont d’un projet de partenariat bien sûr, mais également de manière continue et progressive en embarquant ses équipes. Ceci permet de travailler à la maturité collaborative de sa structure, de l’intégrer dans la culture de son organisation.
De manière assez générique, voici les facteurs clés de succès pour assurer une bonne gestion dans le temps d’une collaboration à impact : • Construire : il est primordial de créer un lien de confiance réciproque, en s’assurant que le partenariat repose sur une vision commune et partagée, réponde bien aux enjeux stratégiques identifiés à l’origine pour chacun des partenaires, et bénéficie de l’implication et du soutien des directions générales de chaque partenaire. • Équilibrer : un partage des risques, des pouvoirs et des responsabilités, des investissements conjoints en ressources et compétences en respectant les limites et les attentes de chacun, les process et l’organisation spécifique de chaque structure. • Formaliser : les accords doivent être formalisés et valides juridiquement, définissant une gouvernance commune claire du projet partenarial et fixant les règles de partage des coûts et bénéfices. • Démarrer : une équipe projet dédiée et des référents doivent être identifiés, en intégrant au maximum des membres de chaque partenaire ; des jalons clairs, précis et mesurables doivent être définis, avec éventuellement des étapes de Go/noGo pour le projet ; le pilotage et la valorisation des résultats sont essentiels (en utilisant la méthode SMART(2) pour définir objectifs et indicateurs par exemple). • Communiquer : la mise en place de temps dédiés et de process de communication entre les partenaires est incontournable. Il est important de se concerter, de consulter régulièrement chaque partenaire, de s’assurer d’un partage d’informations régulier et de l’adéquation entre bénéfices réels et ressentis pour chacune des parties prenantes.
...Car le jeu en vaut la chandelle
Malgré les difficultés que peuvent représenter les partenariats inter-entreprises de l’ESS ou avec des entreprises classiques, ces modèles constituent un axe de développement essentiel pour les structures de l’ESS qu’il est nécessaire de creuser, notamment en temps de crise. En effet, à une époque où la notion de « crise » est devenue courante, voire un état permanent (nous en parlons plus en détails ici), les réponses à ces crises se situent nécessairement dans la résilience et la solidarité, comprise comme interdépendance choisie entre les différents acteurs. A cet égard, les partenariats à impact structurants sont un moyen de reconnaître et de formaliser cette interdépendance vertueuse et cette complémentarité entre les différents acteurs.
Cependant, il est important de rappeler deux prérequis essentiels pour que ces projets partenariaux soient à la hauteur de leur potentiel, à savoir encourager chaque structure à prendre ses responsabilités et à agir pour la résolution des multiples crises que nous traversons (écologique, sociale, démocratique et politique, mais aussi sanitaire) en montrant que des alternatives viables et concrètes sont possibles. Tout d’abord, les acteurs engagés dans la coopération doivent problématiser et débattre des enjeux actuels, et de ceux qu’ils souhaitent adresser. La coopération est une affaire de compromis, mais pas de compromission, et à cet égard les acteurs doivent s’accorder sur la/les notion(s) de « valeur » (économique, sociale, environnementale…), sa création et sa distribution. Ensuite, ces projets partenariaux ne peuvent suffire et se substituer à une exigence envers chaque acteur socio-économique sur son cœur d’activité, en lien avec les impératifs de transition sociale, démocratique et écologique : « Le fond de la question est de savoir ce que nous concevons comme étant de la richesse, comme étant et/ou ayant de la « valeur » à différentes échelles territoriales, avec un pendant sur le partage du pouvoir et la gouvernance. L’horizon est celui de la qualité du lien social et écologique, face à l’impératif de ‘transition écologique et solidaire’. » (Antoine Rieu, manager R&D de SocialCOBizz).
Rappelons une dernière fois que, via les partenariats à impact inter-entreprises de l’ESS et entre acteurs « classiques » et de l’ESS, l’ambition doit être d’inventer des modèles plus résilients, en lien avec les enjeux territoriaux spécifiques et soucieux du lien social et écologique.
(1) Philippe Semenowicz : Agrégé et docteur en sciences économiques et sociales et enseignant-chercheur à l’Université Paris Est Créteil, spécialiste de l’ESS et ayant travaillé sur les collaborations entre organisations à but lucratif et sans but lucratif notamment
(2) SMART : Acronyme signifiant en français Spécifique, Mesurable, Atteignable, Réaliste et Temporellement défini ; concept créé par George T. Doran
La 1ère partie de l'article est à lire ici L’équipe SocialCOBizz www.socialcobizz.com